Certains avaient surgis de forêts mystérieuses
Les yeux verdis de feuilles
Les bras enduits de sève
D’autres étaient fardés du givre des hauteurs
On voyait les chasseurs à leur couteau de hêtre
Les princes des campagnes
A leurs habits de foin
Des hommes poussiéreux montraient des mains de filles
Et les femmes portaient dans le pli de leurs hanches
Des plumes métalliques
De geais inconsolés
Tous avaient convergé sur un chemin unique

Nous nous étions trouvés dans des pas de fortune
Des frères des amis qu’on pensait disparus
Nous avons mélangé nos yeux et nos sourires
Un enchevêtrement de phrases de pensées
L’esprit était de fête
Et le temps de parler nous étions à la mer

Arrivés au rivage
Nous nous sommes coulés aux lèvres de la houle
Nous avons déroulé lentement de nos doigts
Le long de l’horizon le fin fil de nos foules
Chaque plage ou calanque était marquée de nous
De nos corps confondus nous avons souligné
Entre la terre et l’eau la lisière ténue
Aussi loin que pouvaient apercevoir nos yeux
Nous étions installés dans l’angle de nos vies

Cela devait venir dans le petit matin
A présent nous devions vivre ensemble une nuit
Nous allions partager sans vraiment nous connaître
Des assiettes d’écume et des verres de vent
Laissant poindre des cœurs un air halluciné
A présent dans le froid d’un lointain littoral
Nous avons allumé de petits incendies
Contenus dans la roche comme des sémaphores
A présent dans la sombre ondulation des vagues
Fatigués de nos marches et longues traversées
Nous avons chuchoté en secret des prières
Espérant sa venue et ses mots de récifs

Ton souffle et mon haleine se tenaient l’un dans l’autre
Les peaux contre nos mains bruissaient comme un papier
A présent protégés dans une étreinte feu
Il nous fallait attendre
Que la mer se retire

Ce serait le signal

Et la nuit a passé

Lorsqu’au petit matin la mer se retirera
Bien plus loin que normal au-delà de la chute
Il y eut avant tout ce vacarme d’oiseaux
La nature affolée fuyait de toute part
Laissant sec et désert l’estran de pierres bleues
D’étranges animaux se blottirent
Dans nos flancs
Les arbres dans nos dos cessèrent de pousser
Puis ce fut le silence au-dedans de nos têtes
Puis le monde lui-même
Fut comme suspendu

Le vide de tout bruit se prolongea longtemps
Déjà de la lumière inondait nos visages
Et la chaleur naissante
Faisait sourdre des sables
Une brume diaphane aux odeurs de salines

Et ce fut le moment où il nous apparut
Plutôt que d’arriver des loins ou du dessus
Il se constitua sous nos yeux de brouillard
En un immense corps aquatique et fluide
Sa peau encore humide était couverte d’algues
Et brillait du vert sombre
Des plus profondes fosses
Deux des membres tissés d’une soie délicate
Donnaient une impression d’intimité possible
Au milieu du visage était une pliure
Si bien que ses deux yeux pouvaient tout à la fois
Se regarder l’un l’autre et nous voir et la mer

Il s’était accroupi dans notre alignement
Et son geste invisible dessinait la rencontre
Que chacun attendait sans savoir ni comment
Ni où ni quand pourquoi dans le soi silencieux

Soudainement il se mit à dire des choses
Un flot sans fin de mots et de paroles que nous ne comprenions pas
Ou si peu
Mais cela n’avait pas d’importance car à présent nous sentions
Sa voix faisait vibrer l’air et c’est dans nos corps que nous devinions son message
C’est dans nos chairs que nous vivions ses prophéties
Dans nos muscles que s’inscrivaient ses mythes
Il était question de voyages
De portes
De passages
Il était question d’allers retours entre des points insoupçonnés
Il était question de fruits magiques de poissons philosophes
Il était question de murs inexistants
De courage et de persévérance
De joie
Oui il était question de joie
Surtout

Nous l’avons écouté et bu et dévoré
De nos bouches amantes
Devant tant de surprise
Et de toutes nos forces nous avons retenu
Ce qu’il avait donné
Ce qu’il avait laissé
L’eau était de retour et il ne fallait pas
Que la marée emporte
Ces feux inestimables

En fin d’après-midi l’oracle s’est levé
Il a pris le sentier devant lui de la mer
Sa marche était tranquille
En même temps qu’immobile
Plutôt que d’avancer vers des flots éloignés
C’est l’eau qui peu à peu venait à sa rencontre
L’oracle était debout au milieu de la grève
Et tout autour de lui le paysage étale
S’emplissait de nouveau des eaux que nous savions

Aucun de nous encore n’avait osé bouger
Humains et non humains restaient dans le silence
Côte à côte serrés devant l’imprononçable

La dernière partie que l’on vit de son corps
Fut le bras qu’il leva pour terminer sa nage
Puis il s’évanouit comme il était venu
Dans l’eau de notre mer
Dans la mère
De la terre

L'APPARITION DE L'EAU
2019

L’apparition de l’eau est d’abord une disparition. Les hommes et la nature, les vivants réunis, assistent au lever du jour au retrait de la mer, à son évaporation. Cette disparition suspend un temps le cours du monde. Et c’est dans un silence immobile que l’eau-dieu, homme turquoise et bicéphale, se constitue à partir du brouillard marin. L’eau-dieu est doux et bienveillant et fait comprendre à tous, dans une langue im-prononcée, la place de chacun dans le monde et la nécessité d’un respect mutuel et joyeux.
Puis le chemin des flots s’avance à nouveau jusque lui.
Puis l’eau-dieu, se liquéfie sous yeux, disparaît dans sa nage et rend à tous les vivants, parmi lesquels les hommes enfin éclairés, l’eau dont ils ont tant besoin.

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