vu par BERNARD BOUREL, poète
A l’occasion de l’exposition Chroniques des gens humains à la galerie du Soixante AdaDa (Saint-Denis, 2015)

Tous nos cailloux pèsent dans nos gestes
Depuis le sable lâché léger sur le sommeil enfant jusqu’à la pierre des tombes.
Les plus serrés ramassés dans leur nuit de caillou n’en sortent pas, répètent
La violence de nos coups : pierres à feu, silex de lames et de flèches
Quand d’autres sous l’outil attendent
Qu’on rende enfin les armes et cède,
Comme en nous-même, qu’on les taille.
Le temps d’abord de la dormance.
Ils enveloppent dans leurs œufs les bosses de premiers gestes, en eau dormante les nouent au bercement.
D’où le poids qu’ils ont, fossiles, qu’ils se reprochent
D’avoir à naître séparément.
Alors le temps d’un autre silence, en basse continue, le murmure du soulèvement.
Un premier peuple se présente debout, témoigne de cette aînesse
Pour se garder plus avant de bouger se fiche dans du bois.
Tous ensemble s’y tiennent, font corps – c’est matière plus tendre à gauchir – se soulèvent, cailloux en tête
Et taisent où encore ils se cognent. Ils vivent.
Le temps venu du dépliement.
Sans le contrepoids de leur caillou, les premiers à se lâcher, avancent dans le bois, s’aboutent pour bras des branches.
Comme on dit d’une langue qu’elle se délie
Leurs gestes se déplient, tiennent en l’air des poses le temps de se glisser dans les élancements,
Chacun d’y prendre corps séparément vivant mais dans l’échange
De signes d’avances de ralliement.


vu par MICHEL BENARD, vice-président de la Société des Poètes et Artistes de France
A l’occasion de l’exposition L’intuitisme à l’Espace Mompezat, Société des Poètes Français (Paris, 2014)

Simon Lambrey a suivi une formation à l’école des Beaux Arts de Beauvais ; sans doute fût-il inspiré par la statuaire du lieu. Sculpteur oui, mais également poète et comme si le cumul n’était pas suffisant, il est aussi psychiatre et chercheur en sciences cognitives, ce qui explique peut-être son ouverture et soif « intuitives ». Néanmoins, ne nous y méprenons pas, l’intuition n’a rien à voir avec le geste instinctif. L’intuition implique un travail suivi, répété, une réflexion sur de multiples expériences de vie et ce sont ces expériences pratiques qui développent en partie l’intuition. Nous sommes ici au seuil de l’apprentissage des diverses phases de la vie.
Ainsi lorsqu’il dégrossit au ciseau sa pierre calcaire en taille directe, Simon Lambrey tente de demeurer dans l’essentiel au sens étymologique du terme, c'est-à-dire de retrouver l’essence de l’origine, de la ligne, de la forme, du juste volume et par là même de se rapprocher de la redéfinition de la nature de l’homme. Vaste sujet convenez en !
En fait, à bien regarder les sculptures de Simon Lambrey, nous retrouvons les signes et les empreintes des arts premiers, le but n’étant pas l’esthétique absolue, mais l’émanation originelle, la vérité au travers de son « brutalisme » dans le sens d’art brut, j’oserais même dire, de son « primitivisme ». Peut- être est-ce là que « l’intuitisme» renoue avec ses racines. On a l’impression de voir dans le travail de Simon Lambrey une résonance avec les Tikis maoris, les monolithes des îles de Pâques, les masques inuits, les totems aborigènes ou les Vénus paléolithiques.
Intuitivement, Simon Lambrey révèle les formes en gésine, les âmes en sommeil, les promesses en devenir. Ciseler la pierre, c’est peut-être ébaucher un voyage en genèse de vie.